Super Randonnée Haute Provence

Attention, trou à droite! Attention, gravillons à gauche! m’annonce Didier. Les pneus crissent, les patins frottent sur les jantes, le contenu de ma sacoche de selle s’agite, lui faisant passer un ultime test de solidité.

Il est environ 4h40 du matin, la nuit est douce et claire en ce dimanche 11 juillet.

Didier s’est courageusement engagé le premier sur la petite route (route qui n’a pas dû voir depuis des lustres la seyante combinaison orange des représentants de la DDE!) descendant de chez Sophie à la sortie du village de Carcès, notre point de départ.

Voilà, je suis au pied de mon Everest personnel: réaliser la Super Randonnée de Haute Provence (SRHP) avec ses 609 kilomètres et ses 12 000 mètres de dénivelé en moins de 50h00.

Hier soir, confortablement installée sur la superbe terrasse de la bergerie de Sophie, j’ai bien eu quelques mauvaises pensées: après tout, je serais tout aussi bien sur une chaise longue à bouquiner ou dans la piscine à faire trempette.

Mais non, le sort en est jeté: à 4h50, je photographie Didier devant le panneau de sortie de Carcès. Ce système de pointage par photo sera utilisé pendant toute la randonnée; c’est pratique (il n’est pas toujours facile de trouver un commerce où pointer, surtout au milieu de nulle part) et puis cela fera des souvenirs.

Les premiers kilomètres sont un peu étranges: je ne me sens pas encore “dedans” mais en même temps, je suis un peu nerveuse. Je n’arrive pas à trouver mon rythme alors que la route s’élève déjà; sans m’en rendre compte, je vais trop vite; je me retourne de temps en temps et vois Didier à 20 ou 30 mètres derrière; situation inhabituelle pour moi.

Après quelques kilomètres, la côte de Cotignac me rend plus raisonnable. Ce n’est pas le jour de faire la maline sur le 42; je passe le 30; il va s’agir d’être souple et de mouliner pour venir à bout de la SRHP.

La montée en direction des Gorges du Verdon est progressive; nous passons notre premier col, le col de la Bigue. Peu à peu, apparaît en contrebas de la montagne, le lac de Sainte-Croix qui a pris les magnifiques couleurs de l’aube. Une bifurcation, et la route serpente le long d’une falaise; la montée est agréable dans la fraîcheur du matin et le calme d’une circulation quasiment inexistante.

A 7h37, nous atteignons notre deuxième point de contrôle, la Source de Vaumale. Nous profitons de cet arrêt obligatoire pour remplir nos bidons à cette source bien fraîche. Il fait très doux voire chaud et nous pressentons que la température va aller crescendo au cours de la journée; il est donc essentiel de bien s’hydrater. Sophie a d’ailleurs donné sur son blog de nombreux conseils et indications concernant l’approvisionnement en eau; je me suis fait un petit pense-bête, il ne devrait donc pas y avoir de problème de ce côté là.

Quelques mètres plus haut, nous passons le col de Vaumale, clef d’entrée de la rive gauche des Gorges du Verdon. Le route domine les gorges, montant et descendant, au gré du relief; le paysage est sauvage et magnifique; nous apercevons en face, sur la rive droite, l’impressionnante Route des Crêtes que nous devrons emprunter d’ici quelques heures.

A Pont-de-Soleils, nous passons au-dessus du Verdon et attaquons la rive droite des gorges; nous roulons au niveau de la rivière, au fur et à mesure que nous nous élevons, nous l’apercevons au fond de canyon, ayant pris une magnifique et irréelle couleur vert émeraude. Cela donne envie de se baigner ou de faire une balade en canoë. C’est à regret que je passe devant le Point Sublime et d’autres belvédères aménagés sans pouvoir m’y arrêter: le randonneur doit rester concentré sur son objectif, mais je me promets de retourner dans les Gorges du Verdon en “vraie” touriste.

Nous ne sommes plus qu’à 2 kilomètres de La Palud, petite ville où nous avons prévu de ravitailler, mais la SRHP ne serait pas la SRHP si elle prenait les routes les plus faciles; donc, au lieu de filer tout droit vers La Palud, nous tournons à gauche pour entamer la Route des Crêtes. Ce petit détour de 12 kilomètres va se révéler particulièrement ardu. La route s’élève brusquement en une longue rampe, à laquelle succède une autre rampe et ainsi de suite. La végétation, plus que réduite, est incapable de nous protéger d’un soleil qui commence à taper fort. J’adopte un rythme très tranquille, cherchant juste à progresser sans trop m’entamer. Peu à peu, je rattrape Didier parti plus rapidement que moi; je le passe, il ne semble pas bien et a sa tête des mauvais moments: je le connais assez pour lire sur son visage. Un petit encouragement et je continue; je ne veux m’arrêter qu’au panneau qui sert de pointage et qui, selon les indications de Sophie, doit se situer à quelques centaines de mètres du sommet. Je suis soulagée lorsque je l’aperçois enfin; je ne perds pas de temps et me précipite…à l’ombre. Didier me rejoint; nous faisons la photo (10h54) et récupérons un peu de nos efforts en observant le gracieux ballet d’un oiseau de proie planant au-dessus de nos têtes.

Nous attaquons la descente dont le début est très spectaculaire et raide…une erreur de trajectoire et c’est le grand saut assuré; n’étant pas kamikaze, je fais preuve de prudence.

Vers midi, nous arrivons sans encombre à La Palud où une fontaine et une boulangerie nous attendent. Alors que j’ai bon appétit et fais honneur au talent du boulanger, Didier ne prend quasiment rien, il semble soucieux et un peu absent.

Après une demi-heure d’arrêt, nous repartons en direction de Moustiers-Sainte-Marie qui marque la sortie des Gorges du Verdon. La route n’est jamais facile; nous passons un petit col et une longue côte, qui, sur la carte n’avaient l’air de rien mais avec les heures de selle et la chaleur, prennent beaucoup plus de…relief. La mauvaise mine de Didier confirme mes craintes: dans l’ascension de la côte, il s’arrête net et me dit qu’il a besoin de faire une pause; pour bien connaître Didier, je sais que, dans ce genre de cas, il a besoin de quelques instants de sommeil et que ça repartira aussi sec! Je l’attends en haut de la montée, installée à l’ombre du seul arbre du lieu où une famille pique-nique en écoutant à la radio la retransmission du…grand prix de Formule 1…ça casse un peu le charme! Didier me rejoint, il semble aller mieux mais nous savons que, quoiqu’il arrive, la gestion doit être notre maître mot. Moustiers passé, le paysage change complètement; nous arrivons sur un plateau très carte postale, une vraie publicité pour la Provence: champs de lavandes en fleur à perte de vue! C’est beau mais c’est dur: il fait chaud et la route n’est pas plate. Arrivée au village de Puimoisson, je m’arrête pour attendre Didier que j’avais aperçu derrière moi quelques instants auparavant; personne…j’attends, toujours personne…en fait, Didier a repéré un tuyau d’arrosage dans la petite cour d’une maison et s’est mis en devoir de remplir ses bidons et de s’arroser. Je l’imite immédiatement, allant jusqu’à mettre mes pieds (chaussures comprises) sous le jet. Merci donc à ce généreux contributeur inconnu!

Après une belle descente, nous entamons la montée du col d’Espinouse, non sans avoir refait le plein des bidons et s’être arrosés abondamment au robinet du cimetière du village de Bras d’Asse. Je pressens que la montée va être chaude…et en effet, la route, de plus en plus étroite, serpente entre des petits vallons où il fait chaud, très chaud, quasiment pas un souffle d’air. Je vois Didier qui s’éloigne inexorablement et moi qui semble être collée à la route. Bon allez, il faut que je gère…pas d’énervement…à ma main…je vois avec plaisir le panneau indiquant le col; je prends la photo en vitesse (15h16) et me mets à l’ombre du seul maigre arbrisseau du lieu; quelques instants de récupération et nous entamons la descente.

Nous décidons de faire une bonne pause bistro aux Grillons; village qui nous est familier pour y avoir fait…une pause lors de notre flèche Vélocio 2007. L’arrêt me fait du bien mais je ne me sens pas au mieux. Dès la sortie du village, un long faux plat montant se met en travers de nos roues; en fait, on peut considérer que l’ascension du col de Fontbelle commence là car la route ne va pas cesser de s’élever, prenant un relief de plus en plus marqué. Je ne suis pas à la fête: plus la route s’élève, plus j’ai chaud, plus je reste scotchée au bitume…Didier s’est envolé, le veinard a retrouvé son coup de pédale…je traîne ma misère, je commence à voir un voile noir devant mes yeux; je sais, par les récits de Sophie, qu’une partie du col est en sous-bois,  je n’ai donc qu’une hâte, atteindre ce sous-bois dans l’espoir d’y trouver un peu de fraîcheur ou, tout au moins, une chaleur moins étouffante. Et puis une mauvaise pensée me taraude: l’envie de m’arrêter…non, il ne faut pas que tu t’arrêtes, tu ne le fais jamais d’habitude et si tu t’arrêtes, tu sais bien que tu n’auras plus qu’une idée, t’arrêter de nouveau!!! Tout à coup, mon pied droit prend son indépendance et décide de sortir de la pédale…quelques instants plus tard, me voilà écroulée sur le bas-côté de la route, à l’ombre d’un des rares arbres. Je n’arrive pas à récupérer; je bois mais ne peux plus manger. Heureusement, nous avons eu la bonne idée d’emporter de la nourriture liquide très reconstituante; je ne parviens à en boire que quelques gorgées, mais c’est toujours ça de gagné et, pour faire couler, j’absorbe un infâme médicament pour la digestion. Mais il faut repartir car le temps tourne; je râle, je suis pessimiste (je me demande comment je vais aller au bout de cette aventure…si je commence à calancher dans ce petit col, qu’est ce que ce sera dans le Ventoux?!?), je râle de plus belle…je sais que c’est pénible mais cela me permet de retrouver de l’influx; heureusement que Didier commence à me connaître et sait comment je fonctionne…le pauvre, je mets sa patience à rude épreuve!

Nous voilà repartis; je me traîne toujours mais le coup de chaud semble être passé; je rejoins à mon train de sénateur apoplexique Didier au col…ouf, que ça a été dur!

Petite photo (18h40) et nous entamons la descente vers Sisteron; descente qui remonte évidemment immédiatement; je me doutais bien qu’il y aurait un “truc” car, jusqu’à présent, la SRHP ne nous a pas laissé beaucoup de répit; il y a donc peu de chance que cela change; quelques côtes plus loin, la descente se fait enfin plus franche et plus longue; nous passons dans le magnifique défilé de la Pierre Ecrite qui doit son nom à la stèle antique portant des inscriptions en latin commémorant le passage en ce lieu d’un ex Préfet des Gaules; il y fait frais, c’est divin, par Jupiter! Nous apercevons enfin Sisteron que nous atteignons après une superbe descente très aérienne. Il est 19h40, nous décidons de manger en ville pour avoir le temps de digérer avant d’attaquer le prochain gros morceau de la SRHP, la Montagne de Lure.

Nous dînons dans un restaurant au pied de la citadelle; le patron est très compréhensif car nous ne sommes pas les premiers randonneurs à faire escale chez lui. Didier mange d’un bel appétit   (“comme d’habitude” diront certains!); moi, j’ai moyennement faim mais je réussis tout de même à manger correctement. Durant le repas, me revient en tête une remarque de Sophie dans un de ses récits sur la SRHP: “Sisteron, ce n’est que le kilomètre 237, pas même la moitié du parcours, et nous avons déjà encaissé l’équivalent d’un BRA…” Glooopps!!! Mieux vaut que je chasse ce genre de pensée de mon esprit…Nous profitons également de cette pause au milieu de la civilisation pour faire un brin de toilette et remettre de la crème anti-frottement là où il faut: ça a chauffé dans les cuissards toute la journée et ce n’est pas fini!

Lorsque nous repartons, le jour décline; il est donc plus prudent de nous mettre en configuration nuit, surtout que nous devons emprunter pendant quelques kilomètres la D4085 où la circulation est assez dense.

Nous quittons la D4085 à Peipin (j’espère que le nom de ce village n’est pas un mauvais signe!) pour rejoindre, par une route plus calme mais plus vallonnée, Saint-Etienne-les-Orgues, notre prochain pointage et commune située au pied de la Montagne de Lure. Nous arrivons à 22h33 à St-Etienne, espérant pouvoir faire le plein des bidons avant d’attaquer la montée car il n’y aura plus aucun point d’eau avant d’avoir atteint la vallée du Jabron, de l’autre côté de la Montagne de Lure. Hélas, la fontaine est à sec; heureusement, un monsieur, qui prenait le frais dehors devant chez lui, nous propose de remplir nos bidons avec de l’eau bien fraîche; il nous demande ce que nous faisons et s’inquiète de nous savoir dans la Montagne de Lure en pleine nuit. Il nous propose alors de prendre son numéro de téléphone pour qu’il puisse aller nous chercher en voiture en cas de problème.

Voilà un des charmes de la pratique de la randonnée: rencontrer des gens sympathétiques, accueillants et serviables.

Nous attaquons la Montagne de Lure par une rampe qui casse bien les jambes; heureusement, les 18 kilomètres menant au sommet ne seront pas tous de cet acabit; la montée est assez régulière avec de temps à autres des parties plus pentues. Didier est parti devant, chacun ayant adopté le rythme qui lui convient; j’aperçois son feu rouge arrière, le perds de vue au détour d’un virage puis le retrouve. Rouler seule dans la nuit, en pleine nature a quelque chose de magique et d’exaltant; j’avais déjà goûté à ce plaisir lors de Bordeaux-Paris, deux semaines auparavant; vivre des instants comme ceux là justifie largement les efforts consentis.

Rouler de nuit peut également provoquer quelques émotions: alors que je ne vois plus la loupiote de Didier depuis un certain temps, je réalise que je m’engage sur une route qui semble descendre alors que je n’ai pas encore atteint le sommet; le doute m’assaille, je m’arrête et remonte; en effet, j’avais loupé la route qui continuait tout droit; mais je ne suis pas sûre de moi; c’est Didier qui a la carte et je ne le vois plus; de plus, je sais qu’il a éteint son téléphone portable. J’ai un moment d’inquiétude. Tout à coup, je crois apercevoir les phares d’une voiture qui remonte de la “mauvaise” route; en fait, c’est Didier qui a fait la même erreur que moi (la puissance de sa dynamo-moyeu m’étonnera toujours!); j’avoue être un peu rassurée.

Nous profitons de ce contretemps pour faire une petite pause; nous éteignons nos lampes et admirons un magnifique ciel étoilé que l’on ne peut voir que loin des villes et de leur pollution lumineuse.

Nous voilà repartis, seulement guidés par les lumières clignotantes du relais de télécommunication situé au sommet; sommet où nous ne nous attardons pas; nous basculons de suite dans la descente car le panneau de pointage du Pas de la Graille se situe 3 kilomètres plus bas. J’ai le tort de ne pas enfiler mon imperméable, la température étant franchement plus basse de ce côté de la montagne; je tremble de froid lorsque nous arrivons au panneau à 00h57.

La photo, le K-Way et nous repartons dans la descente que Sophie nous avait dit être particulièrement mauvaise; Didier ouvre la route avec son phare puissant, je lui colle à la roue, prête à réagir à la moindre de ses indications. Finalement, la descente est moins pénible que prévue et se passe bien; de plus, nous n’avons fait aucune mauvaise rencontre avec un sanglier ou une biche, une de nos craintes.

Nous commençons à remonter la vallée du Jabron et décidons de nous reposer quelques heures; à Saint-Vincent-sur-Jabron, Didier repère, de son œil d’expert en matière de “pause dodo à l’arrache”, une cabine téléphonique qui tient plus de l’abri bus; nous nous y installons le plus confortablement possible et tentons de trouver le sommeil…sommeil qu’évidemment je ne trouve pas, comme d’habitude dans ce genre de cas. J’entends Didier ronfler pendant quelques minutes, le veinard! Mais même sans dormir, cette pause de 2h30 me permet de reprendre quelques forces.

Nous repartons alors que le petit matin commence à poindre. La journée s’annonce belle et très très chaude, comme la suite du programme de la SRHP d’ailleurs… Le gros objectif suivant est le Mont Ventoux mais pour parvenir à son pied, nous devons escalader une série de cols et de côtes: le col de la Pigière, le col de Macuègne, le col des Aires, le col de Fontaube via le beau village de Montbrun-les-Bains. Je suis un peu en terrain connu car j’ai fait deux séjours cyclistes dans la région; je sais que ces cols, en temps normal, ne sont pas très difficiles, mais avec plus de 300 kilomètres dans les pattes, il s’agit de se la jouer modeste et raisonnable; de toute façon, ma forme du moment ne me permet pas autre chose; je suis déjà contente de pouvoir suivre Didier qui semble être bien.

Dès le col de Macuègne (6h33), apparaît la silhouette à la fois fascinante et menaçante du Ventoux; au sommet du col de Fontaube (7h30), la menace se précise: Il est là, tout proche et si lointain; je sais que la partie ne sera pas facile pour le vaincre.

Mais chaque chose en son temps: pour l’instant, il faut songer à rallier Malaucène. Et comme dans la SRHP, rien n’est aisé, il faut encore batailler avec des côtes (le Pas du Voltigeur) et des petits cols (je n’avais pas remarqué le col de St Michel sur la carte!). Nous arrivons enfin à Malaucène à 8h45 et avisons rapidement la boulangerie. Hélas, j’ai du mal à avaler quelque chose. J’achète tout de même deux parts de pizza et une pâtisserie locale en guise de provisions pour la route entre le sommet du Ventoux et Sault. Des gens sympathiques nous abordent et nous interrogent sur notre périple mais je dois leur sembler bien peu aimable et bien peu bavarde: j’avoue que je suis préoccupée par l’ascension à venir; je sais que je parviendrai au sommet mais en combien de temps et dans quel état?

Mais quand il faut y aller, faut y aller! A 9h25, nous enfourchons nos vélos… c’est parti pour le Ventoux! Je connais la montée par Malaucène pour l’avoir faite l’an dernier; elle est globalement aussi difficile que le versant Bédoin mais elle est différente; dans mon souvenir, on y est moins en prise, avec quelques zones de récupération; cela me rassure un peu. Je pars tranquillement et laisse filer Didier qui est bien plus costaud que moi; nous nous donnons rendez-vous au sommet mais j’ai mauvaise conscience de devoir le faire attendre longtemps dans le froid surtout si je calanche en  route. Je me concentre sur la route, prends mon rythme, lent certes, mais je progresse régulièrement. Moi qui d’habitude, dans le Ventoux, double beaucoup de cyclos, là, je suis avalée par la majorité d’entre eux mais qu’importe, mon seul but est d’arriver en haut. Tout se passe bien jusqu’au 10e kilomètre; puis pendant 3 kilomètres, la pente devient rude (9, 10, 11%) et sans répit; je ne me souvenais pas de ça!!! de plus, une envie de dormir commence à me prendre, je zigzague sur la route car ma vitesse est descendue à la limite des lois de la physique et le sommeil m’entraîne vers le rebord; je me donne quelques claques; j’essaye de rassurer le cyclo hollandais qui roule derrière moi et qui doit me prendre pour une folle; je lui explique, en anglais, la situation. Ce petit intermède a au moins le mérite de me réveiller. J’ai envie de m’arrêter mais surtout pas dans cette horrible pente car je ne sais pas si je serais capable de repartir; en fait, je me donne comme objectif la station de ski du Mont Serein car la route y est plus facile. Quand j’y parviens enfin, je m’arrête précipitamment dans le rond point car s’y trouvent quelques arbres salvateurs: il y a du monde qui passe mais tant pis, je dois absolument faire une escale technique! La preuve, qu’au moins, je m’hydrate correctement…Petit pause de 10 minutes et je repars pour la dernière étape; c’est toujours difficile mais lorsque j’atteins la partie pierreuse, je sais que je tiens le bon bout; encore deux virages, un virage, l’émotion commence à m’étreindre et à me serrer la gorge; je m’oblige à me calmer pour avaler les derniers mètres; l’arrivée au sommet est un peu agitée, je suis obligée de faire ma place sur la route en criant car il y a beaucoup de cyclos et surtout des voitures qui circulent ou tentent de se garer  n’importe comment; ouf, ça y est…il est midi, je suis sur la plate-forme d’arrivée; j’ai la larme à l’œil: se faire le Ventoux avec 400 bornes dans les jambes, c’était pour moi un sacré défi et c’est un soulagement d’avoir réussi…la SRHP n’est pas dans la poche, mais une grande marche vient d’être franchie.

Je retrouve Didier qui m’attend tranquillement au milieu de la foule de cyclos; c’est toujours un plaisir de voir des gens originaires du monde entier venus faire LE Ventoux; chacun a gravi à son rythme (il y a tous les niveaux) et à sa façon (du VTC au vélo de route ultra light) un mythe. Nous profitons du spectacle et d’une…pause bien méritée. Petite photo pas très bien cadrée de la borne sommitale (le panneau du sommet a disparu!) et nous entamons la descente par Bédoin. Je suis prudente à cause des nombreux cyclos et voitures, notamment aux abords de la stèle Simpson; le chalet Reynard et hop, à fond! Enfin, à fond…voilà que je commence à ressentir les premiers effets d’une hypoglycémie (je n’ai quasiment rien pu avaler au sommet); je résiste, je me dis que je vais attendre le bas de la descente pour me ravitailler; mais rien n’y fait, je préfère m’arrêter; pas le moment de voir des petites étoiles en pleine descente. Didier est obligé de stopper également; le pauvre, quel boulet je fais! Je suis à la limite de la fringale mais je suis toujours incapable de manger: j’ai bien deux parts de pizza et une pâtisserie que je traîne dans ma sacoche depuis Malaucène, sans parler des barres de céréales et autres pâtes de fruit qui ramollissent dans mes poches de maillot depuis le départ, mais impossible d’y toucher; dans ce cas, la nourriture liquide s’avère providentielle; quelques gorgées et c’est reparti.

Celui qui pense que le Ventoux marque la fin des difficultés de la SRHP se trompe lourdement: la surprise du chef (ou de la cheffe en l’occurrence) l’attend! Au bas de la descente du Ventoux, à Sainte-Colombe, nous tournons à gauche, direction Flassan et…le col des Abeilles. Ce n’est pas une surprise pour moi car je connais le coin et particulièrement ce col; d’ordinaire, je le trouve assez facile et agréable à monter mais avec les kilomètres et la chaleur, je sais que la donne ne va pas être la même; et en effet, Flassan à peine dépassé, nous entrons littéralement dans un four; nous montons en plein cagnard, pas un souffle d’air, pas l’ombre d’une ombre; Didier me précède de quelques dizaines de mètres; tout à coup, au détour d’un virage, il s’arrête et me dit qu’il a besoin de faire une sieste. Et le voilà qui se met en devoir de débroussailler sous les petits chênes verts qui bordent la route pour pouvoir nous y installer. Malgré le feuillage, il fait encore très chaud; je ne dors pas, comme d’habitude mais cet arrêt fait du bien et permet d’éviter l’heure la plus chaude de la journée; j’essaye à nouveau de manger mais rien n’y fait: la pizza et la pâtisserie feront le bonheur des fourmis!

Au bout d’une heure, il faut bien se décider à repartir; il fait légèrement moins chaud mais c’est encore dur; gérer, toujours gérer… je suis tout de même bien contente de voir le panneau marquant le col (15h45); une belle descente vers Sault nous attend…aaaahhh, Sault et son café avec terrasse ombragée!

Nous refaisons les niveaux dans ce joli village touristique; la température en profite pour descendre un peu mais il fait toujours chaud lorsque nous enfourchons nos vélos pour les 145 derniers kilomètres; certains diraient “plus que” 145 kilomètres mais au moment de repartir, j’ai tendance à penser “encore” 145 kilomètres; j’ai peur qu’ils soient longs, très longs; Didier prend une nouvelle fois la tête, je m’applique à rester dans sa roue; le terrain est un peu moins difficile mais je me sens bien incapable de prendre des relais.

Après le pointage de Banon à 18h20, je me mets à avoir faim; je crois que je mangerais un bœuf. Comme nous avons décidé de nous arrêter dîner à Forcalquier, je commence à fantasmer sur ce que je pourrais manger, j’imagine mon menu, j’en salive d’avance. Nous avisons une pizzeria à l’entrée de la ville mais au moment de commander, mon bel appétit a disparu, c’est énervant et frustrant; j’ai du mal à avaler un plat de pâtes tandis que Didier s’offre double ration pâtes/pizza! A la terrasse du restaurant, nous ne sommes pas beaux à voir et attirons littéralement les mouches; le patron, qui est un cyclo, nous indique que la route pour rallier notre prochain pointage à Allemagne-en-Provence n’est pas facile du tout; mais ça, on s’en doutait un peu…

Le jour décline lorsque nous repartons et la nuit tombe lorsque nous quittons l’axe routier un peu important sur lequel nous roulions pour une route beaucoup plus petite qui serpente dans la garrigue; nous sommes en fait sur un véritable toboggan: ça monte, ça descend, ça monte, ça descend. Heureusement, avec la nuit, la chaleur est tombée; de plus, rouler dans l’obscurité permet de ne pas trop voir la route; tout en pédalant, je me dis que je n’aimerais pas faire cette route en plein jour et en pleine chaleur. Et puis une autre chose me préoccupe: j’ai faim!?! A peine partie de Forcalquier, la faim est revenue me tarauder; je n’ose rien dire à Didier sous peine de passer pour une c..ieuse voire pour une folle; là, ça en devient comique…discrètement, j’essaye de grignoter des barres de céréales (les premières depuis des lustres, comme quoi, j’ai bien fait de ne pas les jeter); elles ont du mal à passer mais ça me remplit un peu l’estomac et me permettra d’éviter la fringale.

Didier a toujours un bon coup de pédale; je roule à 20 ou 30 mètres derrière lui; en fait chacun adopte le rythme qui lui convient; dans les descentes, je laisse également un bon écart: cela est plus prudent et me permet de rester plus attentive et donc de combattre le sommeil qui commence à poindre son nez; et puis comme je chante ou crie (cela a également le double avantage de faire peur aux animaux et de me tenir éveillée), mieux vaut pour la santé mentale et les oreilles de Didier que je me tienne un peu en retrait.

Tour à tour, nous montons et descendons à travers les bois, parfois, nous devinons que nous sommes sur un plateau cultivé (de lavandes?), puis nous redescendons dans la forêt pour mieux remonter. Ce toboggan va durer une bonne cinquantaine de kilomètres avec quelques hésitations au niveau de l’orientation; il n’est pas toujours facile de retrouver son chemin la nuit, au milieu de la pampa, sur des routes sans panneau; heureusement, le road-book est clair et Didier, le GPS humain,  a bien préparé son affaire, cartes à l’appui.

Nous nous arrêtons quelques minutes à Allemagne-en-Provence, le dernier pointage avant Carcès: une photo (23h27), un dernier plein de bidons et c’est reparti pour l’ultime étape!

Peu à peu, la route se fait moins tortueuse, plus plate. Sur les panneaux routiers, commence à apparaître le nom de Cotignac, puis de Carcès. Nous tenons le bon bout! A l’approche de l’arrivée, tous les voyants cyclistes passent au vert: une belle route en faux plat descendant, le vent dans le dos; comme si les dieux du vélo se mettaient de notre côté pour nous permettre de finir de façon idéale cette superbe randonnée! Nous mettons la plaque et commençons à accélérer, on se croirait presque à la sortie du dimanche…Cotignac! Nous reconnaissons la route que nous avons empruntée il y a deux jours; là, le cœur est plus léger, les jambes finalement pas si lourdes que ça; l’odeur de l’écurie sans doute! Nous continuons à enrouler du braquet, l’air est frais, la route est belle et facile, c’est parfait…lorsqu’apparaît le panneau d’entrée du village de Carcès, une grande joie m’envahit: ça y est, on l’a fait!!! C’était dur, c’était beau, mais on l’a fait!

Nous nous photographions chacun à notre tour devant le panneau…nous sommes mardi, il est 2h20 du matin, cela fait 45h30 que nous roulons.

La SRHP est finie mais pas nos efforts: il nous faut encore remonter la route qui mène chez Sophie; les trous et les bosses sont finalement moins pénibles en montée; et puis nous avons le cœur léger.

Quelle joie de retrouver Sophie qui nous attend; nous l’avions tenue au courant de notre progression, elle savait que nous allions finalement boucler sa rando mais je crois qu’elle était un peu inquiète tant que “ses poulains” n’étaient pas rentrés sains et saufs à la bergerie (écurie?).

Puis, nous avons discuté et discuté encore, refait la rando, le vélo et le monde jusqu’à 5h00 du matin. Mais il est temps d’aller me coucher, après avoir vécu, comme dans un rêve, cette Super Randonnée de Haute Provence.

Marie-Noëlle

Remerciements:

Merci à Sophie Matter pour avoir imaginé, créé et homologué la Super Randonnée de Haute Provence; merci pour sa passion communicative, sa générosité et son accueil. A certains instants difficiles, j’ai pensé à elle en me disant que je ne pouvais pas abandonner, qu’elle comptait sur moi; bref, qu’il me fallait être digne de sa confiance. Cela paraîtra peut-être ridicule à certains, mais d’autres comprendront qu’on ne s’engage pas sur ce type de parcours sans avoir passé un contrat moral avec soi-même.

Merci à Didier Hume pour sa présence, sans lui, je n’aurais jamais osé m’engager dans une telle aventure; merci également pour sa patience (et il en faut pour me supporter!) et pour avoir préparé, comme d’habitude, des cartes aux petits oignons; je n’avais plus qu’à suivre! Finalement, on ne fait pas une si mauvaise équipe que ça.

Pour en savoir plus:

Et pourquoi pas se lancer dans la SRHP? Je ne cacherai pas que la version Randonneur demande un très bon entraînement physique et une belle motivation; mais la version Touriste est plus abordable bien que ses difficultés ne soient pas négligeables du tout, loin de là! Si cela vous intéresse, rendez-vous sur le site de Sophie ou sur celui de l’Audax Club Parisien.

Faites le savoir, la Super Randonnée de Haute Provence le mérite vraiment!

Pour les matheux:

La SRHP en chiffres:

– 609 kilomètres sur le papier

– environ 12000 m de dénivelé

– Temps maximum autorisé: 50h00 soit 12 km/h

– 615 kilomètres à mon compteur (remontée vers la bergerie comprise soit 2,5 km)

– 45h30 total pour 31h20 de roulage effectif (hmm, va falloir améliorer les temps d’arrêt!)

– 19,84 de moyenne

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